Gare fluviale du Nord de Moscou
La gare fluviale du Nord à Moscou est un bâtiment emblématique des années 1930.
Dès le départ, la gare assumait un rôle idéologique et symbolique central – grâce à la construction du Canal de Moscou, la capitale soviétique devenait un « Port des cinq mers » et l'édifice devait être à la hauteur d'un tel statut.
La forme du bâtiment rappelle un bateau – ses étages ressemblent à des ponts et son aiguille centrale, à un mat.
Les 12 médaillons de majolique qui ornent l'entrée racontent aux voyageurs les principaux « chantiers » de l'Etat soviétique. Le Palais des Soviets qui figure sur l'un d'entre eux ne verra jamais le jour, mais personne ne pouvait imaginer que ce projet ne serait pas mené à bien au moment de la construction de la gare, aussi le panneau du Palais immortalise à ce jour cette entreprise pharaonique abandonnée.
La gare était, enfin, en reconstruction depuis 2018 et a rouvert ses portes en septembre 2020.
Vous pouvez désormais faire une visite guidée virtuelle de la gare fluviale du Nord de Moscou grâce à notre vidéo dédiée. Et si vous préférez la lecture vous trouverez la transcription de la vidéo au-dessous:
Aujourd'hui, nous sommes à la Gare fluviale du Nord à Moscou. Elle vient de rouvrir après plusieurs années de travaux. C'est le premier bâtiment que vous voyez à Moscou si vous arrivez par bateau, par exemple, de Saint-Pétersbourg. Les portes de notre ville, pour ainsi dire. Cette gare est un exemple de l'architecture des années 1930, elle est remarquable à la fois par son style, mais aussi par les images qu'elle véhicule. Regardons de plus près. D'ailleurs, il ne s'agit pas de la Moskova, mais du bassin de retenue de Khimkhi. Ce bassin fait partie du canal de Moscou. Pour rejoindre la Moskova, il faut traverser deux écluses et descendre de 36 mètres, la Moskova se trouve à environ 3 kilomètres d'ici.
L'aspect visuel de la gare est tout à fait singulier – c'est une allusion directe à un ferry à trois ponts doté d'un mat. Il est posé sur l'eau, comme s'il venait d'accoster.
Les longues galeries avec une balustrade que vous voyez tout au long du rez-de-chaussée rappellent les ponts d'un ferry. Et au-dessus trône le mat, couronné d'une étoile, comme les tours du Kremlin - une allusion directe à ce dernier. Les magnifiques fresques au plafond à caissons, le décor des halls, les fontaines – tout a été minutieusement travaillé.
L'architecte Alexeï Roukhliadev cherchait à créer un bâtiment unique. C’était le moment du rejet de constructivisme dans le pays et retour à des formes classiques – ici on ressent l’influence du palais des Doges de Venise. Stylistiquement, il s'agit de la variante soviétique d'Art Déco. Ce n'est pas de l'architecture stalinienne ou style impérial stalinien - une erreur fréquente. En réalité, la célèbre architecture stalinienne émergera plus tard et atteindra son apogée après la seconde guerre mondiale, alors que la gare a été achevée en 1937. Si l'on regarde ses traits – le dessin singulier et les formes expressives de cet édifice symbolique, une sorte de bâtiment-bateau, chargé d'émotion et sensuel, loin des lourdeurs et de la grandiloquence staliniens – on distingue clairement une référence à l'Art déco des années 30. L'architecte Alexeï Roukhliadev, auteur de l'édifice, était un maître du Constructivisme avant de se consacrer à l'Art déco justement. Je précise, toutefois, que les architectes de l'époque ne connaissaient pas ce terme, il est apparu 30 ans plus tard pour désigner le style unique de ces années-là.
Port des cinq mers
La gare est bien plus qu'un simple bâtiment, comme tout ce qui s'est fait à l'époque stalinienne, d'ailleurs. C'est un point de départ sur la voie qui mène depuis Moscou jusqu'à la Volga, via le canal de Moscou, puis au Nord, vers la mer Baltique et la mer Blanche, ou au Sud, vers la mer Noire et la mer Caspienne. Le tout via un système complexe de canaux. L'oxymore typique de l'époque désignait Moscou comme le «port des cinq mers», sachant que Moscou est une ville fluviale. Nous comprenons toutefois que c'était l'époque de miracles accomplis par le pouvoir soviétique, donc une ville bâtie sur un petit fleuve pouvait parfaitement devenir ce «port des cinq mers». La gare elle-même est également une merveille. Un bâtiment qui a pris la forme d'un bateau.
Idéologie
Le rôle idéologique de cette gare ne peut être sous-estimé. On distingue des messages très clairs dans son décor. Regardez, par exemple, les médaillons de porcelaine à l'entrée du bâtiment côté bassin. C'est une véritable exposition de merveilles soviétiques. Une locomotive Joseph Staline. Un char à deux tourelles – un modèle de l'époque. Le four d'un complexe métallurgique – la fierté de l'ère de l'industrialisation. Un dirigeable, qui à l'époque, n'est pas un simple vaisseau, mais un domaine de l'aéronautique très prometteur. Il sera ensuite abandonné. Ici, un avion ANT-6 qui a atteint le pole Nord. Bref, une véritable panoplie de succès soviétiques qui faisaient la fierté du pays.
Il y a, bien sûr, eu des couacs. Voici un médaillon qui figure le Palais des Soviets. Il devait devenir le principal bâtiment du pays, installé dans le centre de Moscou sur l'emplacement de la cathédrale Christ-Sauveur, spécialement dynamitée à cette fin. Le palais devait être l'édifice le plus haut du monde (on ne pouvait se permettre de se faire dépasser par personne, évidemment). A l'époque, personne ne doutait que le palais verrait le jour – l'URSS se considérait comme l'achèvement du processus civilisationnel et voyait grand. Et donc, ce grand chantier s'est trouvé représenté sur le médaillon. Seulement, le projet a finalement été abandonné et ne subsiste que sur papier et sur ce médaillon. Nous reviendrons un jour sur cette histoire passionnante.
Plus bas, sur le quai, vous voyez une maquette du Canal de Moscou – c'est ici que prend sa source un canal de 128 km qui relie la Moskova et la Volga. Les bateaux vont et viennent le long de ce système à 8 écluses. Le tout fait partie d'un même complexe avec la gare fluvial. La maquette est un jouet – j'ai consulté des spécialistes – ni sa trajectoire ni les détails ne correspondent à la réalité. C'est simplement un tout petit bassin avec des maquettes d'écluses qui vous permet de vous faire une idée générale. Mais ce n'est pas si important. Le Canal de Moscou a été bâti par des détenus du Camp de travail correctionnel de Dmitlag – une branche spéciale du NKVD. Comme pour de nombreux chantiers de l'époque, on a utilisé ici le travail gratuit de centaines de milliers de détenus du Goulag. Ce sujet n'est pas très à la mode en Russie en ce moment, on tente de justifier cette pratique, voire de réfuter les crimes monstrueux de l'Etat. Et on est loin d'un consensus. Nombre de personnalités de la Russie d'aujourd'hui estime qu'il est grand temps de refaire des films figurant des détenus du Goulag heureux de construire le canal! Ces images du film sont un document passionnant.
Mais cela aussi est une autre histoire.
Maintenant que la gare a rouvert, c'est une visite qui vaut vraiment le détour. Elle a été très bien restaurée et on peut vraiment apprécier la qualité du bâtiment. Il vous offre une vue panoramique sur le bassin et vous permet de ressentir l'ampleur de ce chantier, telle qu'il a été imaginé il y a 80 ans. De plus, la gare dispose d'un petit parc et de plusieurs fontaines. Si vous ne faites pas partie des passagers de la croisière Pétersbourg-Moscou par la Volga, nous vous invitons tout de même à vous y rendre lors de votre visite de Moscou. Comme vous pouvez le constater la gare mérite vraiment ce détour.
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