Le Palais des Soviets - le fantôme principale de Moscou

Vous le pouvez voir le Palais de Soviet que dans des livres historiques ou des films. Mais son histoire est l'une de clé pour comprendre les réalités soviétiques et le Moscou d'aujourd'hui.

Dans notre vidéo nous faisons une visite guidée de ce lieu. Les métamorphoses encroyables de Moscou soviétique sont liés à ce projet centrale de l'époque: l'explosion de la cathédrale du Christ-Sauveur, la Piscine Moskova et la reconstruction de la nouvelle cathédrale. 

Si vous préférez la lecture vous trouverez la transcription de notre vidéo ci-dessous. 

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Aujourd’hui je vais vous parler du Palais des Soviets, un grand projet soviétique absolument délirant, et qui n’a jamais vu le jour. Mais il est pourtant bien présent, de façon parfois invisible, et parfois évidente. Toute la ville de Moscou, telle que Staline l’a faite reconstruire en 1935, était organisée autour de lui, et sa trace reste présente partout autour de nous.

La première cathédrale

Nous sommes près de la Cathédrale du Christ-Sauveur. Ce n’est pas le bâtiment original, il a été détruit en 1931. Ça a été d’ailleurs le destin de très nombreuses églises à l’époque de l’Union Soviétique, où la religion était considérée comme un instrument des ennemis du peuple. Et à l’emplacement de l’ancienne cathédrale, on devait construire un autre temple, un temple d’un genre nouveau : le palais des soviets. Qu’est-ce que c’était que ça ?

Le concept du Palais des Soviets

On peut dire que ç’aurait été, au sens propre, une merveille du monde. Ce devait être un bâtiment administratif pour les réunions du Soviet Suprême de l’URSS ; et comme toujours dans les États s’appuyant sur une idéologie très forte, l’architecture était plus que fonctionnelle : elle était politique, et c’était même sa principale raison d’être. L’objectif n’était pas de construire un bâtiment pour une assemblée, c’était d’impressionner le monde entier, de trouver la supériorité du modèle soviétique… un peu comme une cathédrale géante dédiée à l’idéologie soviétique.

Alors, pour faire court, ce bâtiment était le « plus tout » au monde. Le plus grand, le plus original, le plus beau, avec les matériaux les plus modernes et les techniques architecturales les plus habiles. La propagande le mettait partout en avant.

Il aurait mesuré 415 mètres de hauteur, dont une statue de Lénine géante de 100 mètres de haut. Et en réalité, tout le bâtiment était une sorte de piédestal pour cette statue géante.

Ces images permettent de se faire une idée de ce à quoi aurait pu ressembler le centre-ville de Moscou si le Palais des Soviets avait été construit.

Les intérieurs du Palais des Soviets

L’intérieur aurait été à l’avenant : une salle de congrès de 21000 sièges en forme d’amphithéâtre immense sous une coupole de 97 mètres de hauteur ?. Le tout aurait été construit avec des matériaux et des systèmes uniques : la salle aurait pu être transformée en arène, en scène, ou même en patinoire. Le bâtiment aurait été visible depuis n’importe quel point de Moscou, il serait vraiment devenu le point central, l’élément principal de la « capitale du communisme ».

Un « Institut du Palais des Soviets » avait été créé exprès, et on y travailla pendant des décennies sur ce projet. Une marque de béton et d’acier particulièrement résistants fut créée tout spécialement, et appelée « DS », comme Dvorets Sovietov, Palais des Soviets. Et tout l’aspect artistique était aussi étudié jusqu’au moindre détail : esquisses des tableaux, et des milliers de mètres carrés de fresques et de mosaïques (car oui, on mesurait les œuvre d’art au mètre).

C’était le nouveau centre de Moscou, qui devait supplanter le Kremlin. Toutes les rues de ville, tous les bâtiments, devaient être tournés vers ce futur point dominant. Par exemple, les gratte-ciels staliniens devaient équilibrer ce bâtiment gigantesque.

Le concours des projets international et le style d'architecture

Un concours d’architecture international fut annoncé, auquel participa entre autres Le Corbusier, mais le vainqueur fut un architecte russe, Boris Iofane, l’auteur de l’Immeuble sur le Quai que vous voyez en face. La victoire de son projet, et la tenue du concours en lui-même, envoyait un message important : en matière d’architecture, l’URSS se détournait des expériences des avant-gardistes et des constructivistes des années 1920 et recherchait une architecture tournée vers autre chose que la simple fonction. Le choix s’était porté sur le style Art Déco. On entend souvent dire que le Palais des Soviets était un projet de style stalinien, mais c’est incorrect. C’était un bâtiment de style Art Déco, dans, bien entendu, une version soviétisée ; mais c’était bien ce style international, arrivé en URSS avec dix ans de retard.

La forme du Palais des Soviets: un gâteau de mariage?

Des milliers de pages ont été écrites sur l’architecture du Palais des Soviets, sur son influence sur l’architecture russe et internationale, de quoi tourner toute une série d’autres vidéos. Moi, je me contenterai de vous faire partager une remarque faite par plusieurs historiens et spécialistes de l’art, en particulier Anna Bronovitskaïa : c’est que la forme finale du projet qui avait été retenue ressemblait à une gâteau de mariage géant, avec une figurine de mariée au sommet. On se demande si Iofane l’avait fait exprès, mais une fois que l’on a vu la ressemblance, on ne peut plus rien voir d’autre.

La construction du Palais des Soviets

Alors, que s’est-il passé ? La construction a commencé, les fondations ont été posées, si immenses qu’elles descendaient jusqu’en dessous du niveau de la rivière pour pouvoir supporter le poids du Palais… et elles existent toujours, nous sommes dessus en ce moment, personne ne s’est amusé à les retirer. La carcasse en acier des dix premiers étages a été construite … puis la seconde guerre mondiale a éclaté, et la carcasse a été entièrement démontée pour en faire des hérissons anti-chars et pour réparer les ponts. Mais, on ne sait pas trop pourquoi, après la guerre le projet n’a pas été entièrement abandonné ; même si la construction n’avait pas repris.

Sur cette photo aérienne prise par un avion de reconnaissance allemand, on voit bien que le bâtiment est en pleine construction, avec l’amphithéâtre de la grande salle de congrès.

Le palais n’a jamais été construit, mais Moscou en a quand même tiré quelque chose.

À l’époque, personne ne doutait qu’il serait effectivement construit : ce que vous voyez là, c’est un film tourné en 1938, dans lequel on montre le Palais des Soviets au pays tout entier.

Nous avons aussi vu la Gare Fluviale du Nord de Moscou, avec ses médaillons en façade qui représentent le Palais des Soviets. Tout ceci pour dire que ce n’était pas une utopie ou un projet fantôme, c’était quelque chose de très concret.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui à Moscou ?

Nous sommes dans la station de métro « Kropotkinskaïa », qui s’appelait à l’origine « Palais des Soviets » et avait été construite pour desservir le Palais. C’est peut-être l’une des plus belles du métro de Moscou. Son pavillon extérieur est construit à l’emplacement d’une autre église détruite. C’est une station très majestueuse, et pourtant minimaliste, pensée comme une sorte de porte d’entrée dans le palais. Cet escalier devait y accéder directement… aujourd’hui, il débouche simplement à l’extérieur.

La station d'essence présidentielle

La station à essence du Kremlin est elle aussi un témoignage de ce projet. Elle a déjà 90 ans, et est réservée aux véhicules de l’administration présidentielle. Regardez comme les pompes sont anciennes : tout le monde a peur qu’elle finisse par être rasée ou déplacée… c’est pourtant le dernier vestige du complexe de bâtiments qui devait entourer le Palais des Soviets, et les Moscovites y sont très attachés : la dernière en son genre, et tout ce qui reste de cette idée gigantesque.

L'abandon du projet de Palais des Soviets

Il reste une grande question, que tout le monde se pose : pourquoi donc est-ce qu’après la guerre, la construction n’a pas repris ? Malheureusement, il n’existe pas de réponse. Pas assez d’argent ? C’est peu probable : on a construit sept gratte-ciels staliniens, ce n’était pas spécialement bon marché. Un changement de concept ? Au contraire, après la guerre, l’Empire Stalinien est au zénith, et le pays croit plus que jamais à la victoire prochaine du communisme sur toute la planète… Personne ne sait réellement, mais tout le monde a sa théorie. Le plus probable, c’est une convergence de plusieurs facteurs, y compris économiques. En tous cas, à force de retarder la construction, Staline est mort, et son successeur Khrouchtchev a décidé de lutter contre ce qu’il appelait « les excès architecturaux »...

La Piscine Moskova

À la place du Palais des Soviets, nous avons eu la Piscine Moskva (ou Moskova), qui se trouvait, anecdote amusante, à l’emplacement prévu pour la salle de congrès. Pendant 30 ans, les moscovites y ont barboté, c’était, bien évidemment, la « plus grande » piscine d’Europe, et même si elle était à ciel ouvert, elle était ouverte toute l’année. On s’y baignait même par -20 degrés !

Et voilà comment le plus grand bâtiment du monde est devenu un gigantesque trou dans la terre...

La fin de l'histoire (ou encore une métamorphose)

Puis, en 1995, ça a été au tour de la piscine d’être rasée, pour que l’on reconstruise à son emplacement historique la Cathédrale du Christ-Sauveur, celle que vous voyez ici. Mais ça, c’est une autre histoire.

L’idée du Palais des Soviets est toujours présente à Moscou. Nous proposons des visites guidées à la découverte du Plan Général de 1935 imaginé par Staline, et voyons comment ses bâtiments sont orientés en fonction du Palais des Soviets. Et même dans le cinéma russe contemporain, le projet n’est pas complètement mort, et certains artistes continuent de regretter qu’il n’ait jamais vu le jour : regardez cet extrait d’un film de 2012.

Je crois bien qu’il n’y a qu’en Russie qu’une telle histoire est possible : une métaphore de la vie, de la mort et de la renaissance, toute entière contenue dans un seul endroit. Et je ne me risquerais pas à faire des pronostics pour dire combien de temps l’actuelle Cathédrale du Christ-Sauveur va tenir. Qui vivra verra !

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