Moscou comme vous ne la verrez jamais : les utopies inachevées des architectes soviétiques
1. Le Palais des Soviets
2. Les gratte-ciels staliniens et leur huitième sœur disparue
3. Autres bâtiments utopiques et leurs vestiges
4. L’histoire secrète de la Place Rouge
4.1. Quelques mausolées de Lénine alternatifs
4.2. Et si l’on rasait le GOUM pour y construire un gratte-ciel constructiviste ?
1. Le Palais des Soviets
D’une cathédrale à un palais, puis à une piscine et une nouvelle cathédrale : l’histoire du Palais des Soviets, le cœur de l’URSS qui ne fut jamais construit
Paradoxalement, le plus célèbre des bâtiments dont l’histoire est étroitement liée à celle de l’URSS est celui… d’une cathédrale impériale !
La Cathédrale du Christ-Sauveur a été construite entre 1839 et 1883 pour célébrer la victoire russe dans les guerres napoléoniennes ; mais le bâtiment que vous pouvez visiter aujourd’hui n’en est qu’une réplique à l’identique !
L’original a été dynamité par Staline en 1931 (vidéo de la démolition de la cathédrale Christ Sauveur à Moscou):
...pour faire place à un projet grandiose : le Palais des Soviets.
Plus de 270 propositions sont soumises lors du concours architectural organisé immédiatement après la démolition de la cathédrale. Parmi les participants, un certain Le Corbusier… mais c’est finalement un architecte soviétique, Boris Iofane, qui remporte le concours en 1933. Son projet est une tour immense de 415 mètres de hauteur en style stalinien, surmontée d’une statue de Lénine de 80 mètres portant sa hauteur totale à 495 mètres.
En son cœur, une salle de congrès de 21000 sièges vouée à deux usages : accueillir les congrès pluriannuels de la 3ème Internationale (Comintern) ; et surtout organiser les cérémonies d’admission de nouvelles républiques au sein de l’URSS, car à l’époque, nul ne doute que l’Union Soviétique est vouée à s’étendre au rythme des révolutions communistes dans le reste du monde !
Les fondations du Palais des Soviets sont posées en 1939 et l’armature métallique des premiers étages est à peine achevée quand, en 1941, l’Allemagne nazie envahit l’Union Soviétique.
Interrompu par la guerre, le chantier ne reprendra jamais réellement. L’idéologie dominante a changé : si l’URSS se revendique toujours du communisme, il n’est plus question de Révolution mondiale, au contraire, le pays, auréolé de sa victoire sur le nazisme, aspire à prendre une place de grande puissance au sein de la communauté internationale. Le Comintern est dissous, et le projet abandonné. Boris Iofane ne construira jamais de gratte-ciel. Pour en savoir plus sur cet architecte, considéré comme le protégé de Staline cliquez ici.
En 1960, l’emplacement est occupé par la piscine Moskva, qui restera jusqu’à sa fermeture en 1994, la plus grande piscine à ciel ouvert du monde avec ses 130 mètres de diamètre.
En 1995, l’Église Orthodoxe Russe obtient que le terrain lui soit rendu et la Cathédrale du Christ-Sauveur reconstruite à l’identique ; reconstruction achevée en 2000:
Mais des vestiges du Palais des Soviets existent encore aujourd’hui pour qui sait les chercher : dans la station de métro Kropotkinskaïa, par exemple, qui s’appela « Palais des Soviets » jusqu’en 1957, et même dans les ponts sur la Moskova, qui furent tous renforcés avec l’acier spécial qui avait été inventé pour la construction de ce gigantesque monument.
Voilà à quoi aurait pu ressembler la vue le long du quai du Kremlin si le Palais des Soviets avait été construit:
2. Les gratte-ciels staliniens et leur huitième sœur disparue
Au lieu du Palais des Soviets, ce sont finalement les « 7 sœurs », gratte-ciels staliniens d’une taille plus raisonnable, qui viendront décorer Moscou (cliquez ici pour en savoir plus). Et ces 7 sœurs auraient même pu être huit…
Juste à-côté de la Place Rouge, vous n’avez pas pu manquer le Parc Zariadié, grand parc moderne représentant, à deux pas du Kremlin, les différents écosystèmes de Russie, et abritant restaurants gastronomiques, musées d’histoire et salle de concert (lire plus sur le parc Zariadié).
Historiquement, Zariadié n’est pourtant pas un parc, c’est tout un quartier, l’un des plus anciens de Moscou:
Mais en 1935 et 1947, il sera intégralement démoli en 1947 pour faire place au projet d’un huitième gratte-ciel stalinien.
D’une hauteur de 275 mètres, « l’Immeuble administratif de Zariadié » ne dépassera jamais le stade des fondations. Joseph Staline meurt en 1953 et son successeur Nikita Khrouchtchev, se prononce fermement contre « les excès architecturaux » : c’en est fini des gratte-ciels staliniens, il n’y aura jamais de « Huitième sœur ».
L’architecte du projet, Dimitri Tchétchouline, travaillera cependant quelques années plus tard sur son remplaçant, l’hôtel Rossia, construit entre 1963 et 1967 pour pallier au manque d’hébergements touristiques dans la capitale soviétique, et qui restera plusieurs années le plus grand hôtel du monde avec ses 3182 chambres.
L’hôtel Rossia (1967-2006).
Après sa fermeture en 2007, le site de Zariadié est resté un terrain vague pendant dix ans, jusqu’à l’ouverture de l’actuel Parc Zariadié (inauguré en 2017):
3. Autres bâtiments utopiques et leurs vestiges
Palais des Soviets et Immeuble de Zariadié sont les deux éléments centraux du « Plan général de reconstruction » de Moscou, un projet stalinien qui ne fut que partiellement réalisé, mais qui a défini en grande partie l’apparence actuelle de la ville. Cliquez ici pour découvrir notre excursion à la découverte de l’architecture stalinienne et du « Plan général de reconstruction ».
Quelques-uns des éléments n’ayant jamais vu le jour de ce projet :
Projet d’Académie des Sciences:
Projet de siège d’Aéroflot:
« L’Arche des Héros », projet de monument aux soldats vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale:
Même ces bâtiments qui, pour la plupart, n’ont jamais dépassé le stade de la planche à dessin, ont encore une trace tangible aujourd’hui.
La gare fluviale du Nord de Moscou, élément-clé du projet de « Port des cinq mers ». Avec l’ouverture du Canal de Moscou, un ouvrage gigantesque reliant la rivière Moskova à la Volga et au réseau de canaux soviétiques (Mer Blanche-Baltique ; Volga-Baltique et Volga-Don), la capitale soviétique disposait de facto d’un accès à cinq mers : Mer Baltique, Mer Blanche, Mer Noire, Mer d’Azov et Mer Caspienne. Le majestueux bâtiment de la gare fluviale de Moscou, construit entre 1933 et 1937, présente, sur sa façade, des médaillons en majolique représentant ces projets démesurés. Leurs concepteurs, persuadés que ceux-ci verraient le jour, ne se doutaient pas qu’il s’agirait aujourd’hui de l’unique trace de leur existence.
4. L’histoire secrète de la Place Rouge
Que votre séjour à Moscou dure quelques jours ou plusieurs semaines, c’est sans aucun doute par elle que vous avez commencé votre découverte de la capitale russe. La Place Rouge, entourée par le Kremlin, le Musée d’Histoire, la Cathédrale Basile-le-Bienheureux et le GOUM, est le kilomètre zéro de l’histoire de Russie et le lieu central du pouvoir, des Tsars aux Premiers Secrétaires du PCUS. Sans doute était-il inévitable que le pouvoir soviétique décide d’y imprimer sa marque.
4.1. Quelques mausolées de Lénine alternatifs
Après la mort de Lénine en 1924, lorsqu’il devient évident que le flux de visiteurs désireux de rendre hommage à sa dépouille sur la Place Rouge ne tarira pas de sitôt, les dirigeants soviétiques décident de faire construire un mausolée. Après deux bâtiments temporaires en bois, le monument actuel, en granite rouge et noir, est construit entre 1929 et 1930 sous la direction de l’architecte Alexeï Chtchoussev. Cliquez ici pour en savoir plus sur le Mausolée de Lénine.
Mais ce monument n’est que le vainqueur d’un gigantesque concours international annoncé par les Soviétiques pour la conception du mausolée. Il est possible de retrouver, dans les archives soviétiques, certains des projets alternatifs. De bâtiments relativement classiques, inspirés des pyramides d’Égypte ou de ziggourats babyloniennes à des projets franchement farfelus, la Place Rouge aurait pu avoir une toute autre apparence que celle que nous lui connaissons !
Les différents projets du Mausolée de Lénine sur la Place Rouge:
4.2. Et si l’on rasait le GOUM pour y construire un gratte-ciel constructiviste ?
L’autre flanc de la Place Rouge, inchangé depuis le XIXe siècle, l’a lui aussi échappé belle. Entre 1934 et 1936, deux concours architecturaux sont annoncés pour proposer les projets d’un immense bâtiment destiné à accueillir le Commissariat au Peuple à l’Industrie Lourde, et qui aurait été construit à l’emplacement du GOUM et de son voisin le Gostinny Dvor. Les plus grands architectes soviétiques y participent, et rivalisent d’ambition et d’inventivité. Certains projets, particulièrement délirants, prévoyaient même de raser l’intégralité du quartier de Kitaï-Gorod !
Tous, en tous cas, auraient écrasé par leurs dimensions le Kremlin, la Cathédrale Basile-le-Bienheureux et la totalité de la Place Rouge...
Le projet de l’architecte Constantin Melnikov. Même à l’époque, les juges du concours refusent de prendre au sérieux son projet, considéré comme un pur exercice de style:
Le projet d’Ivan Leonidov. Il prévoit un mât d’amarrage pour ballons dirigeables au sommet de la tour de gauche et une Place Rouge à deux niveaux permettant d’obtenir « des effets de dénivelé pendant les parades militaires, par exemple en surélevant la cavalerie par rapport aux tanks ».
Le projet des frères Vesnine. Finalement, aucun projet ne rencontra les faveurs du jury, et le projet fut abandonné en 1937.