Muséon (le Parc des arts ou Muzeon)
Parc-cimetière symbolique des monuments soviétiques, recueillis ici après l’effondrement de l’URSS. Aujourd’hui, le parc est un objet d’art et l’un des espaces les plus populaires de Moscou. Le Muzéon, c’est une espèce de miroir maléfique de Moscou, l’endroit où elle a rassemblé ses « exilés », et où ils sont toujours, pour vous raconter leur histoire et vous parler de l’endroit où ils vivaient autrefois…
Nous vous conseillons de le visiter à la suite de la Nouvelle galerie Tretiakov et de l’excursion dans le Moscou soviétique.
Muséon ou Muzeon (le Parc des arts) – créé en 1992 à proximité immédiate du complexe culturel Krasny Oktiabr (Octobre Rouge), le parc est un lieu nouveau et atypique pour Moscou.
Il réunit de nombreuses sculptures et monuments de l'époque soviétique, notamment la statue de Felix Dzerjinski qui trôna à côté du bureau du KGB place Loubianka pendant plus de 30 ans.
Vous y trouverez des statues de Staline, Lenine, Brejnev et d'autres chefs d'Etat soviétique – le Muséon est un lieu de rencontre inattendu des personnages très différents.
Histoire. D’où vient le Muzéon ?
À l’origine, c’est un terrain vague près du bâtiment de la Nouvelle Galerie Trétiakov, que vous voyez ici, et qui abrite une superbe collection d’art du XXe siècle, en particulier les avant-gardistes. C’est là, en particulier, qu’est exposé le Carré Noir de Malévitch.
En août 1991, l’URSS a connu une tentative de coup d’État, un putsch organisé par une partie des dirigeants du pays contre Gorbatchev. Il a échoué, et a provoqué l’effondrement final de l’Union Soviétique. Et dans notre pays, les effondrements commencent toujours par les symboles. Les symboles les plus importants, c’était évidemment les innombrables statues des dirigeants soviétiques : toutes les villes étaient pleines de Lénines, de Stalines, de Brejnevs, de Kirovs… Et, en particulier à Moscou, on a commencé à les faire tomber : c’est comme ça qu’est apparue la « collection » du Muzéon, une exposition de sculptures de l’époque soviétique.
L’allée des dirigeants
Ici c’est sans doute son endroit le plus marquant, une petite allée bordée d’un vrai petit panthéon soviétique. Cela vous donne une idée de la façon dont les endroits les plus prestigieux de Moscou étaient décorés à l’époque.
Au départ, on voit deux bustes, Lénine et Karl Marx, réalisés par le sculpteur Sergueï Merkourov. Remarquez, à ce sujet, que ce n’est pas parce qu’un artiste travaillait sur commande de l’État que son talent disparaissait aussitôt. Cela peut sembler paradoxal, mais parfois cela allait ensemble, et des sculpteurs tout à fait talentueux pouvaient se retrouver à exécuter des commandes pour la propagande. Merkourov, par exemple, était un artiste reconnu, et il a « mis au monde » des dizaines de Lénines et de Stalines.
Ensuite, une statue de Lénine (il y en a sept en tout dans ce parc). Celui-ci est intéressant parce que c’est une version « ethnique ». Le l’URSS construisait des monuments dans le monde entier, et leurs auteurs essayaient souvent de donner à ces sculptures une « couleur locale », pour que les populations l’acceptent et s’y attachent. Une sorte de « localisation », comme on dirait aujourd’hui. Par exemple, on construisait dans le Caucase ou en Asie Centrale des Lénines avec des traits particuliers. Ce Lénine-là, justement, vient de Mongolie, et il a un visage marqué, de type asiatique, avec des yeux plissés et des pommettes saillantes. Les Lénines africains, eux, avaient toujours la peau plus sombre que ceux installés en Europe par exemple.
Deux Brejnevs
L’époque de Léonid Brejnev, c’est une période de stagnation (en russe on dit "zastoï"). La première statue a été exécutée trois ans avant sa mort, le camarade premier secrétaire n’était plus tout jeune, mais on voit bien que le sculpteur a décidé de le rajeunir. Et la deuxième date de 1981, Brejnev était déjà complètement cacochyme. Dans toutes ses interventions officielles, il lisait ses notes sans lever le nez de ses papiers, c’était une source inépuisable de moqueries et de blagues. Même la sculpture y fait référence, il tient ses notes à la main.
L’URSS est un bastion de la paix
Ce genre de monuments était typique des villes soviétiques. Il y en avait plein à Moscou : le blason de l’URSS avec un slogan. Ici, ça dit « L’URSS est un bastion de la paix ». Pour l’anecdote, le slogan était au départ différent, il disait « L’URSS est un bastion de la lutte contre l’impérialisme mondial ». Mais quand Richard Nixon est venu en visite officielle, on s’est dit que c’était un peu trop agressif et on l’a remplacé par « bastion de la paix ». Quasiment toutes les stèles dans ce genre ont fini à la casse dans les années 1990, mais celle-ci a été sauvée et vit maintenant au Muzéon.
La statue de Staline
Et voilà Staline, et sa statue au nez cassé. C’est volontaire : quand la statue a été abattue, on a décidé de ne pas la restaurer. C’est aussi une œuvre de Merkourov, en granite rose, qui avait été sculptée pour l’exposition universelle de New York en 1939. Elle est ensuite revenue à Moscou et on l’a installée dans le parc d’Izmaïlovo, puis plus tard ici. C’est une survivante : la plupart des statues de Staline ont été dynamitées ou démolies, et ce avant même la chute de l’URSS, mais sous Khrouchtchev, pendant la déstalinisation. C’est aussi à cette époque que Staline a été expulsé du Mausolée de Lénine et enterré ailleurs.
Lénine, lui, a réussi à ne jamais tomber en disgrâce, et encore aujourd’hui vous le retrouverez partout sur les places centrales des villes russes, y compris à Moscou. Par contre, aucun monument à Staline (en tous cas, pour le moment).
Le monument aux victimes de répressions
Ici, c’est important de regarder ce qui se trouve autour de la statue de Staline. Tout cet ensemble est un monument dédié aux « victimes des répressions politiques ». Il y a ici 283 têtes en pierre, que le sculpteur Tchoubarov a offert au parc à la conditions qu’elles soient installées autour de la statue de Staline. Cela crée un espace où les victimes retrouvent leur bourreau.
La statue de Félix Dzerjinski
La pièce centrale de cette exposition est la statue de Félix Dzerjinski. C’était le fondateur de l’organisation qui est devenue célèbre dans le monde entier sous le nom de « KGB », et que l’on appelle aujourd’hui « FSB ». Elle date de 1958, c’est l’œuvre du célèbre sculpteur soviétique Voutchetitch, et on l’avait installée à un emplacement hautement symbolique : sur la place Loubianka, devant le bâtiment du KGB. L’épée représente la Révolution.
À l’époque l’idée de Khrouchtchev était de redorer le blason de la police politique, en l’associant à une figure idéalisée de son fondateur, Dzerjinski. Mais à la chute de l’URSS, cette statue n’était plus perçue que comme un monument aux répressions et à la tyrannie. En août 1991, les moscovites l’ont jetée à bas, et la mairie a fini par la démonter. Plusieurs photos célèbres montrent cet épisode, très symbolique : on l’a arraché de son socle en le suspendant par le cou, comme s’il était pendu. Et c’est le tout premier monument à avoir été installé ici, au Muzéon. D’une certaine manière, on peut dire que Dzerjinski n’est pas seulement le fondateur du KGB, mais aussi celui du parc Muzéon. Tout s’est fait, à l’époque, dans l’improvisation : le gouvernement ne savait pas quoi faire de la statue, ici il y avait déjà la galerie Tretiakov, l’art du XXe siècle, l’art contemporain… on a décidé que cette statue en faisait partie, et on l’a amenée ici.
Elle a longtemps simplement traîné dans l’herbe avant d’être remise debout. On pourrait débattre très longtemps de sa valeur en temps que sculpture, et de la fissure, très symbolique, qui la traverse.
Cette statue a passé trente-trois ans devant le KGB. Maintenant, cela fait trente ans qu’elle est ici. Et dans la société russe, on débat toujours pour savoir s’il ne faudrait pas remettre Dzerjinski devant la Loubianka, c’est une idée qui ne manque pas de partisans… mais ça, c’est une discussion pour une autre fois.
L'ensemble du parc Muzéon
Le Muzéon, ce n’est pas seulement un reflet de l’époque soviétique, même si c’est cette partie du parc que je préfère. Il y a plus de 700 sculptures ici, des soviétiques et des contemporaines, et le parc est séparé en zones à thème.
Parfois, on le surnomme « le cimetière des statues déboulonnées », mais on peut l'appeler une espèce de prison aussi. Comme si un tribunal s’était tenu, et qu’on les avait toutes consignées ici. Et aujourd’hui, les « prisonniers » du Muzéon nous racontent leurs histoires, leur destinée historique. Et certains, comme Dzerjinski, commencent à se dire qu’ils ont purgé leur peine et qu’ils se verraient bien reprendre leur liberté. On verra bien, l’Histoire jugera.
C’est un endroit plein de sens et d’histoire, et un passage obligé pour les voyageurs curieux : chacun y trouvera quelque chose pour soi.
Le parc Muzéon en vidéo
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