Mystères des portraits d'Ilia Répine
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Aujourd'hui, nous parlerons des magnifiques portraits de l'artiste russe Ilya Répine, entourés de nombreux mystères et d'anecdotes.
Le principal mystère des portraits d'Ilia Répine
Peut-être que le principal mystère est le décès des personnes peintes par Répine peu de temps après leur immortalisation par l’artiste. Celles qui ne sont pas mortes ont parfois été touchées par d’autres malheurs. Pourquoi l'ami de Répine Korneï Tchoukovsky s’est-il écrié "non, ne me peins pas!" (même si à la fin il a accepté d’être portraitisé)? Penchons-nous sur toutes ces étrangetés.
Aujourd’hui, nous ne vous parlerons pas depuis les rues de Moscou ni depuis la galerie Tretiakov, où sont accrochés de nombreux portraits de Répine. Nous sommes installés dans un appartement moscovite typique. Je le précise tout de suite, ce n’est pas le mien, c’est la bibliothèque de mon père. Il y a ici beaucoup d'albums de peinture.
Je vous rappelle que pour la peinture russe, Ilya Répine est l'un des artistes clés des XIXe et XXe siècles.
Portrait de Piotr Stolypine
Commençons par son célèbre portrait de 1911 du Premier ministre russe Piotr Stolypine lui-même. C’est un personnage controversé, il a été ministre-réformateur dans les années très difficiles traversées par le pays avant la révolution de 1917. Répine lui-même était très sceptique à son égard.
Quelques mois après que ce portrait a été achevé, Stolypine a été grièvement blessé dans un théâtre de Kiev, en présence de l'empereur. Le terroriste Bagrov a été pendu.
Quelques jours plus tard, Stolypine est mort de ses blessures.
Portrait de Nikolaï Pyrogov
Trente ans auparavant, en 1881, Répine a peint le célèbre chirurgien russe Pirogov, qui a fait avancer la médecine russe au XIXe siècle, en particulier après la guerre russo-turque. Pirogov est reconnu non seulement comme chirurgien, mais aussi comme une personnalité publique, un humaniste et un penseur. Un hôpital porte son nom à Moscou. Le portrait, bien sûr, transmet tous les aspects de la personnalité de Pirogov. Les attitudes des personnages peints par Répine, et notamment les têtes représentées de trois-quart ou inclinées, véhiculent toujours le caractère de ses sujets. Dans le cas de Pirogov, on le ressent majestueux et fort.
Le chirurgien est décédé l’année de la réalisation de son portrait.
Portrait de Modeste Moussorgski
Selon moi, le portrait de Répine le plus réussi est celui du compositeur russe Modeste Moussorgski. Il date aussi de 1881. A la fin de sa vie, l'auteur des opéras Boris Godounov et Khovanshchina était alcoolique. Il a été interné à l'hôpital après une attaque de delirium tremens. Répine s’y est rendu de toute urgence et a peint en seulement 4 jours le portrait de son ami.
A noter que cette peinture dévoile beaucoup de choses, et que l'artiste n'a rien embelli. Tout est juste – Répine a créé une image du compositeur à la frontière entre la vie et de la mort, avec des touches plus que réalistes qui révèlent son état: une robe d'hôpital, une apparence négligée, un visage fatigué. Ce n’est franchement pas un portrait de cérémonie. Et en même temps, le caractère et l’importance de Moussorgski sont transmis, ainsi que Répine savait le faire.
Le tableau Ivan le Terrible tue son fils et le destin de ses prototypes
Passons à un autre tableau, qui n’est pas au sens propre du terme un portrait, mais qui est aussi une représentation mystique. Il s’agit d’"Ivan le Terrible tue son fils". Le tsar russe, connu pour ses accès de colère et de cruauté, est en train d’assassiner son fils. Le tableau illustre ce moment tragique et l'horreur qui apparaît dans les yeux du roi. C'est un chef-d'œuvre de la peinture russe, il est exposé à la galerie Tretiakov et est incontournable lors de nos excursions là-bas.
Pour réaliser ce tableau, Répine a fait appel à deux personnes: dans le rôle d’Ivan Grozny, le peintre russe Grigory Myasoedov. Dans le rôle du fils assassiné, l'écrivain Vsevolod Garshine. Quelques années après l’achèvement de cette peinture, Garshine est mort. Il est vrai que ce n'est pas son père qui l'a tué. Il s'est suicidé, à seulement 33 ans. Beaucoup croient que Répine a prédit sa mort prématurée avec ce tableau.
Quant à l'artiste Myasoyedov, qui posait pour le tsar, il a vécu longtemps, mais c'est avec son propre fils qu'il a eu des problèmes. Il ne l'a pas reconnu et l’a confié à une famille d’adoption. Jusqu'à l'âge de 17 ans, son fils pensait que Myasoyedov n'était que son tuteur. Il a vécu, comme diraient les psychologues modernes, dans la «privation émotionnelle» de son père.
Myasoedov lui-même était très flatté par le choix de Répine, "Ilya s’est inspiré de moi pour le tsar, parce que personne n'avait une expression aussi sauvage que la mienne", a-t-il écrit. Au moment de la mort de Myasoyedov, son fils, artiste et aventurier, privé de l'amour de son géniteur, a peint des portraits de son père mourant. Les critiques d'art se demandent encore quelle émotion il a alors ressenti vis-à-vis de son père.
Vous ne serez pas surpris si je vous dis que par deux fois déjà, ce tableau a été attaqué au cœur de la galerie Tretiakov par des personnes qui voulaient le détruire. Actuellement, le tableau traverse une énième restauration suite à l’agression qu’il a subie en 2018. Mais c'est une autre histoire.
La plupart des œuvres de Répine se trouvent à la galerie Tretiakov à Moscou. L’artiste, bien sûr, est loin d'être seulement un portraitiste.
Légendes ou vérités?
Pour être honnête, la montée en épingle du destin de ses personnages est plutôt une exagération et une légende. Heureusement, nombre des personnes qu’il a peintes ont vécu longtemps après leur portrait. Les exemples que j'ai donnés sont utilisés fréquemment comme «preuves» de cette «théorie». Il suffit de se plonger un peu dans les détails pour comprendre en quoi ces « preuves » sont fictionnelles. Après tout, onze tentatives de meurtre sont répertoriées sur le Premier ministre Stolypine. Il a écrit dans son testament «enterrez-moi là où ils me tueront». Il ne s'attendait pas à mourir d’une mort naturelle, mais d’un meurtre.
De son côté, Pirogov avait un cancer au moment de la commande du portrait. Moussorgski, comme vous l'avez déjà compris, était en fin de vie et Répine s’est empressé de capturer son image de son vivant, comprenant parfaitement que le décès de son ami était proche. Il n’a été soudain pour personne.
Mais c'est à ça que l’on reconnaît une légende : on en parle!
Et c’est en cela que Répine est un grand portraitiste : à travers ses œuvres on ressent du plaisir en retrouvant l’image de personnalités russes remarquables.
Exposition d'Ilia Répine au Petit Palais à Paris
Un grand événement pour la Russie et la France: une exposition temporaire des tableaux d'Ilia Répine à Paris au Petit Palais du 05 octobre 2021 au 23 janvier 2022.