Moscou, de la peste bubonique au Covid-19
Voici notre nouvelle vidéo sur l'histoire des épidémies que Moscou à connu depuis des siècles.
Le Covid n’est pas la première maladie à s’être abattue sur Moscou, et on y trouve encore des témoignage des épidémies passées, de la façon dont les gens luttaient pour les contrer, des bouleversements de la vie quotidienne… nous vous invitons à regarder ensemble les séquelles des épidémies qui ont frappé Moscou avant le coronavirus et comment ça se passe à Moscou en octobre 2020!
Pour ceux qui préfèrent la lecture à la vidéo - la transcription du texte est juste en-dessous de la vidéo:
La première grande épidémie connue remonte à 1654, et a tué 150 000 personnes, soit près de la moitié de la population de la ville à l’époque ! C’est un épisode bien connu des historiens, mais dont il ne reste aucune trace dans la ville contemporaine. Il faut dire que la Moscou d’alors ne représentait que 1 % de la surface de celle d’aujourd’hui… autant dire qu’elle se limitait à peu près au Kremlin.
Nous voici dans l’un des cimetières de Moscou, Dnilovskoyé. Celui-ci est vieux de 250 ans ; presque autant qu’une autre épidémie, la peste de 1771.
Ce sont les soldats russes revenant de la guerre contre la Turquie qui l’ont ramenée à Moscou, portée par des puces infectées par le bacille. À l’époque, Moscou n’avait ni égouts ni eau courante, ce qui a accéléré la diffusion de la maladie. Les gens étaient si nombreux à mourir que les fossoyeurs ne parvenaient plus à suivre le rythme et que la place manquait dans les cimetières. Un oukaze vint alors interdire d’enterrer les morts dans le centre de la ville.
C’est donc dans les faubourgs, le long du rempart « Kamer-Kollejski », un mur de terre qui marquait les limites de la ville, que neuf cimetières furent créés pour enterrer les pestiférés. Huit d’entre eux existent toujours, et nous sommes dans l’un d’entre eux, le cimetière Danilovski, près du monastère du même nom. Depuis, la ville a grandi et ce cimetière fait pratiquement partie du centre-ville maintenant. Mais si l’on regarde leur emplacement sur une carte, ces cimetières des pestiférés dessinent les limites de Moscou au XVIIIe siècle.
Cette épidémie a provoqué une crise politique autant que sanitaire. L’inhumation des cadavres posait un énorme problème : en théorie, elle était de la responsabilité de la police, mais les agents avaient peur d’être infectés et sabotaient le travail. Alors, les autorités ont décidé d’avoir recours aux détenus des prisons pour ramasser les corps, les jeter dans des fosses et les brûler ; mais les prisonniers en profitaient pour s’évader, ajoutant au désordre ambiant et plongeant la ville dans les pillages et l’anarchie. Les paysans, craignant d’être contaminés, refusaient de porter leurs produits en ville, et la famine frappa.
Quant aux dirigeants de l’époque, ils avaient fui la ville depuis longtemps pour aller se terrer dans leurs manoirs à la campagne, y compris le compte Piotr Saltykov, le gouverneur de Moscou. Un peu comme Poutine, qui, depuis mars 2020, vit dans sa résidence de campagne de Novo-Ogaryovo, ne met pratiquement jamais les pieds au Kremlin et dirige le pays par caméra interposée… Pas grand-chose n’a changé, depuis cette époque, dans le comportement des élites russes.
Cette période d’anarchie en 1771 à Moscou porta un rude coup au moral des moscovites, persuadés qu’on les avait abandonnés à leur sort.
Et nous voilà au monastère Donskoï, l’un des plus anciens de Moscou. Lui aussi se souvient de cette époque : c’est ici qu’ont eu lieu les plus violentes émeutes de la peste. Alors que tous les dirigeants avaient fui la ville et que le chaos régnait, une rumeur se répandit, qui attribuait une vertu miraculeuse à l’Icône de Bogolioubovo de la Mère de Dieu, conservée dans l’église près de la porte Sainte-Barbara, à l’entrée de Kitaï-Gorod. On disait que celui qui poserait ses lèvres sur l’icône serait sauvé de la peste… comme vous l’imaginez, cela a eu l’effet exactement inverse !
L’archevêque de Moscou, Ambroise, ordonna que l’icône soit retiré, afin de ralentir la propagation du virus. Mais le peuple, en l’apprenant, prit les armes et se mit à la recherche du religieux pour exiger que la relique miraculeuse soit rendue aux moscovites. Ambroise se cacha ici, dans le monastère Donskoï, mais les révoltés l’y trouvèrent, le traînèrent dans la rue et le démembrèrent !
C’était une époque tragique : plus de cent mille morts, et des autorités dépassées, qui devaient lutter à la fois contre l’épidémie et contre la révolte. C’est ce que parvint à faire le compte Orlov, venu à Moscou depuis Saint-Pétersbourg, qui était à l’époque la capitale. Il utilisa l’armée pour mettre fin aux émeutes et aux pillages et s’occuper des enterrements. Il mit en place un système d’hôpitaux et de quarantaines, fit nettoyer les rues des cadavres, et interdit de faire sonner les cloches, dont le son permanent rendait fous les moscovites. Et au bout d’un mois et demie, l’épidémie fut maîtrisée… on ne peut pas en dire autant du covid, qui circule à Moscou depuis déjà huit mois.
Aujourd’hui, les masques et les gants sont notre principale méthode de lutte contre l’épidémie. Allons voir comment ces mesures sont respectées. Dans le métro, l’amende pour non-port du masque est de 5000 roubles : nous sommes dans un wagon, et comme vous le voyez, pratiquement tous les passagers le portent. Les amendes ont forcé les gens à être disciplinés : il y a deux-trois mois, moins de la moitié des passagers portaient leurs masques.
En parlant de mémoire ! Il reste plus que huit cimetières de l’épidémie de 1771 à Moscou : nous avons aussi ceci, le célèbre aqueduc de Moscou. Catherine II ordonna la construction d’un système d’approvisionnement en eau courante pour améliorer la situation sanitaire dans la ville. C’était une révolution en matière d’hygiène et de qualité de vie ; et cet aqueduc est resté en service pendant plus d’un siècle, acheminant l’eau du village de Mytischi, dans la banlieue de Moscou, jusqu’à la capitale. Aujourd’hui, il ne sert plus que de pont ; mais il doit son existence à l’épidémie.
Peut-être que dans le futur, cette vidéo servira aux historiens pour étudier la façon dont Moscou a lutté contre l’épidémie de covid de 2020. En tous cas, on aimerait tous que cet épisode devienne rapidement de l’histoire ancienne… J’espère, moi, que l’on pourra bientôt faire une vidéo, dont le thème sera « Moscou après le covid ! »