Les « nuits blanches » de Saint-Pétersbourg – un rêve éveillé
Attention, cependant, à ne pas vous retrouver du mauvais côté de la ville si vous avez prévu de rentrer à l’hôtel plutôt que veiller toute la nuit.
Vous connaissez peut-être les Nuits Blanches de Dostoïevski. Un jeune homme souffrant de solitude et d’ennui flâne dans les rues de Saint-Pétersbourg et rencontre une jeune fille dont il tombe amoureux presque sur le champ. Ils passeront plusieurs nuits à se promener ensemble, puis, quand ils croiseront l’amoureux de la jeune fille dont elle attend le retour, elle quittera notre héros le renvoyant à sa solitude.
Pourtant, saviez-vous que l’écrivain, célèbre pour ses œuvres tragiques et empreintes de réalisme, est, dès ses débuts littéraires, un farceur qui se permet des caprices artistiques dignes d’un grand écrivain romantique ?
« C'était une nuit de conte, ami lecteur, une de ces nuits qui ne peuvent guère survenir que dans notre jeunesse. Le ciel était si étoilé, le ciel était si clair que lorsque vous leviez les yeux vers lui, vous ne pouviez, sans même le vouloir, que vous demander : Est-il possible que, sous un ciel pareil, vivent toutes sortes de gens méchants et capricieux ? ».
L’on pourra croiser des gens méchants et capricieux partout au monde et à toute période de l’année. En revanche, vous aurez bien plus de chances de rencontrer des promeneurs joyeux et heureux dans les rues de Saint-Pétersbourg que de voir ne serait-ce qu’une étoile dans le ciel de la ville au crépuscule de ses sublimes nuits blanches. Le jeune Dostoïevski est un grand rêveur et le plus grand flâneur de la littérature russe. Il est d’ailleurs le premier à s’assumer comme tel en Russie : dans les années 1840, il est invité comme rédacteur en chef du très éphémère almanach Zouboskal, variante de la revue française Les Guêpes, dans lequel il présente le narrateur comme « l’unique flâneur né sur le sol pétersbourgeois ». Comme le grand flâneur français, Baudelaire, il passera ses journées et ses nuits à arpenter les rues de sa ville et à observer, d’un œil attentif et aiguisé, ses habitants et leurs vies. Comme Baudelaire, il sera le premier à créer des topos et des ambiances propres à ce nouveau genre – le crépuscule, les réverbères au gaz, les femmes, les clochards, les chiffonniers, le matin, le travail et la foule. Au contact de sa ville et de ses habitants, il mènera une étude minutieuse de la vie pétersbourgeoise qui lui permettra d’écrire des œuvres qui le hisseront au rang des plus belles plumes du monde et de génie national. L’esprit romantique de Dostoïevski le mènera dans les cercles révolutionnaires, puis dans la cellule de la prison, installée par Pierre 1er dans la forteresse Pierre et Paul. Mais au moment où il écrit ce livre dans les années 1840, c’est encore un jeune homme utopiste.
Très souvent, ses héros sont, comme lui, de grands rêveurs. C’est à ce rêve éveillé, dont Dostoïevski fera sa marque de fabrique, que nous devons les étoiles qui, pour quelques nuits, habiteront l’esprit du narrateur des Nuits Blanches.
Notre visite guidée thématique de Pétersbourg de Dostoïevski vous permettra de découvrir son Saint-Pétersbourg - un personnage à part entière dans les romans de l'écrivain.