Le Moscou inconnu : le déplacement d'édifices
Comment des immeubles moscovites ont-ils été déplacés ? Et pourquoi? Peut-on trouver des traces et des vestiges de ces déplacements?
Nous avons crée une nouvelle vidéo à ce sujet, vous pouvez la regarder sur notre chaîne youtube ou directement sur cette page.
Pour ceux qui préfère la lecture - la transcription de la vidéo ainsi que des images sont ci-dessous.
2 rues Tverskaïa de Moscou: l'ancienne et la nouvelle
Nous sommes sur la rue Tverskaïa. C'est l'équivalent ici des Champs-Elysées ou de Brodway : c'est la rue principale de Moscou d'avant la révolution, de l'époque soviétique, et encore aujourd'hui. En bas de la rue se trouve le Kremlin. Vers là part l'ancienne voie menant à Tver (d'où le nom Tverskaia), puis à Saint-Pétersbourg.
Avant la révolution, la rue Tverskaia ressemblait à ceci. Elle ne correspondait ni par son aspect extérieur ni par ses proportions à la rue principale de la capitale mondiale du communisme.
En 1935, les autorités ont commencé à reconstruire Moscou selon les nouveaux standards soviétiques. Il fallait pour cela largement élargir la rue Tverskaia. Tout était mené avec largesse, dans le style du baron Haussmann. Il fallait créer le parterre du Moscou soviétique, juste au pied de la nouvelle scène, la Place Rouge.
La question s'est alors posée : que faire des anciennes constructions ? Selon l'idéal bolchévique, il aurait fallu tout détruire pour élever sur les ruines de nouveaux bâtiments. C'est pourtant étrange : une partie des immeubles n'a pas été rasée. Elle a été conservée et déplacée. Je vais vous le conter.
La dépendance du monastère Savvinski
Le premier bâtiment remarquable qui a été déplacé se trouve ici, dans la cour de l'immeuble numéro 6. Nous traversons l'arche de cet édifice stalinien classique et nous nous trouvons à une toute autre époque, face à une dépendance du monastère Savvinski. Nous sommes en 1907. C'est une maison dont la façade fait partie de l'ancienne rue Tverskaia. C'est de l'art nouveau russe, avec des éléments de style pseudo-russe. Les autorités voulaient la détruire, puis après réflexion ont décidé de la conserver. En premier lieu parce que cela représentait d'énormes surfaces, accueillant diverses habitations et organismes. Construire un nouvel immeuble pour tout reloger aurait été plus cher que de déplacer l'édifice. En second lieu, la politique s'en est mêlée. C'était un immeuble très lourd, de 23 000 tonnes. Le déplacer signifiait battre un record mondial. Nulle part au monde une telle masse n'avait été transplantée. Les autorités soviétiques souffraient d'un fort sentiment d'infériorité, et montrer au monde qu'elles pouvaient réaliser un tel exploit était extrêmement motivant. C'est pourquoi l'édifice a finalement été déplacé, de 50 mètres vers l'intérieur de la cour.
Vous le voyez : ce n'est pas un simple immeuble, il comprend des cours intérieures. La tâche était donc très difficile.
La technologie de déplacement des immeubles
Des ouvertures étaient réalisées dans les fondations tous les 2 à 3 mètres. D'énormes poutres, telles que celle-ci, y étaient insérées.
Afin que les immeubles ne se désagrègent pas, ils étaient consolidés par une autre structure de poutres.
Sous les poutres étaient construits des rails et des roulements.
Grâce à ces roulements, les poutres sur lesquelles reposait l'édifice pouvaient glisser.
Puis l'immeuble était désolidarisé de ses fondations, et à l'aide de crics et d'autres instruments, il était déplacé. A l'endroit où il devait être installé, une nouvelle fondation l'attendait.
Il est très intéressant de noter que le déplacement a été réalisé sans que les occupants aient à déménager. Tous ont pu rester sur place. Les réseaux – électricité, eau – n'ont pas été coupés, des réseaux temporaires ont été mis en place. Pour le Moscou de 1939, ce fut presque un miracle. La maison se déplaçait la nuit, sans prévenir quiconque, pendant que les habitants dormaient.
Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un chef-d’œuvre caché de la rue Tverskaia. Nous passons toujours le visiter lors de nos excursions.
Avançons sur la rue Tverskaïa.
L'hôtel de ville de Moscou (ancien Mossoviet)
Ce bâtiment est l'hôtel de ville de Moscou. Lui aussi a été déplacé. C'est l'ancienne maison du général-gouverneur. Elle date du 18ème siècle mais a beaucoup souffert : elle a été reconstruite à plusieurs reprises pendant le 20ème siècle. En 1937, elle a été déplacée de 13 mètres vers l'intérieur. Cela a été fait avec démonstration, en battant un record mondial de plus. Cette fois, il s'agit de la vitesse.
L'édifice a bougé de 13 mètres en 41 minutes ! Cela a été un nouveau miracle.
La difficulté résidait dans le fait qu'à l'intérieur de la construction, il y avait une énorme salle sans cloison. En cas de négligence pendant le déplacement, il y avait un risque que l'édifice s'écroule sur lui-même. Mais l'opération a finalement été un succès. Aujourd'hui, le maire de Moscou occupe le bâtiment.
La fierté du pouvoir d'avoir réalisé ces exploits est visible dans des films, comme dans cet extrait du film « Le nouveau Moscou » de 1938.
La maison du Compte Goudovitch
Je vous montre encore quelque chose qui n'est pas visible du promeneur lambda.
C'est l'habitation du Compte Goudovitch. Elle présente une magnifique semi-rotonde. Goudovitch fut le gouverneur de Moscou. Cet édifice aussi faisait la beauté de la rue Tverskaia, avant d'être rentré de 50 mètres dans une cour. Le bâtiment lui-même est un monument architectural remarquable, mais l'heure était à la valorisation d'autres formes et volumes.
Autres vestiges de déplacements sur la rue Tverskaïa
En remontant la Tverskaia, on peut voir d'autres immeubles conservés. Par exemples ces deux-là. Ils n'ont pas seulement été déplacés – leurs façades ont été maintenues sur la Tverskaia. A l'intérieur de l'un d'entre eux, je vais tenter de vous montrer une des poutres sur lesquelles l'édifice a glissé, et qui est conservée.
C'est elle : on la voit encore dans la maçonnerie en briques. Elle a été mise en valeur pendant une opération de rénovation. C'est un témoin privilégié de ces opérations.
Déplacement des édifices mais pas seulement
Je termine non pas avec un édifice, mais avec un autre type de déménagement. Nos monuments ont de tous temps été bougés. Auparavant Pouchkine, notre poète national, se dressait ici. Il regardait le beau monastère Strasnoï. Le monastère a été détruit, et Pouchkine transféré plus haut pendant la reconstruction de la place. Il a été mis à la place du clocher du monastère et retourné.
L'histoire de ces déplacements est caractéristique de Moscou. C'est vraiment une ville où tout bouge sans arrêt. Et une ville de miracles, bien entendu.