Le métro de Saint-Pétersbourg, injustement méconnu
Et voici notre nouvelle vidéo, cette fois-ci consacrée au métro de Saint-Pétersbourg.
Faites cette petite visite de la première ligne du métro et prenez plaisir de cette découverte:
Et voici la transcription du texte si vous préférez lire. Et abonnez-vous à notre chaîne YouTube.
Le métro de Moscou est connu à travers le monde entier. Mais son plus proche cousin se trouve ici, à Saint-Pétersbourg. Et il n'a pas grand-chose à envier au métro de Moscou. Le métro de Saint-Pétersbourg est plus jeune – la première ligne ne fut lancée qu'en 1955, soit à la fin du style impérial stalinien. Aussi, il faut comparer les premières stations du métro pétersbourgeois aux dernières construites à l'époque à Moscou. En 1956, Khrouchtchev a impulsé un profond changement dans l'agenda architectural du pays – la priorité était désormais donnée à la construction économe et à la rationalisation des dépenses. C'est pourquoi nous allons découvrir la première ligne du métro afin de pouvoir la comparer au métro de Moscou.
Plochtchad Vosstania ou Place de l'Insurrection est une station voisine de la gare de Moscou – elle est intégralement consacrée à la révolution d'octobre. Les histoires qu'elle raconte sont profondément pétersbourgeoises. La portée symbolique de la révolution de 1917 était pour l'URSS immense – c'est la version bolchevique du mythe cosmologique fondateur de la naissance d'un monde nouveau, le communisme. Comme dans l'Ancien testament, ce mythe raconte sa propre histoire de la création du monde avec une divinité et des héros nouveaux.
C'est d'ailleurs plus difficile à lire pour un Moscovite, dans le métro de Moscou ces thèmes occupent une place bien moins importante et c'est logique. Après tout, la révolution a eu lieu à Petrograd. Lénine au palais des Taurides ou devant la gare de Finlande, ou encore le tir du croiseur Aurore, sont tous des sujets qui résonnent immédiatement pour un Pétersbourgeois. D'ailleurs, le tir de l'Aurore est une sorte de big bang de l'univers soviétique, l'événement au cœur de sa genèse. Ces histoires pétersbourgeoises sont moins évidentes pour un Moscovite qui débarque à la gare de Moscou.
Les matériaux utilisés pour la construction du métro de St-Pétersbourg méritent aussi une attention particulière. A St-Pétersbourg, on peut également parler de palais souterrains lorsqu'on évoque les stations de métro – ce sont des édifices extrêmement onéreux. Ici, nous trouverons du marbre de l'Oural (extrait dans les montagnes de l'Oural pour les besoins de la construction), le sol de la salle est tapi de granite rouge. Une décoration vraiment fastueuse, en somme.
Avtovo – nombreux sont ceux qui considèrent que c'est la plus belle station de St-Pétersbourg. Je ne proposerai pas d'avis subjectif, mais, quoi qu'on en pense, c'est un édifice remarquable.
A commencer par le vestibule. Ici, nous sommes devant les caisses, une pièce impressionnante, n'est-ce pas? On dirait le dôme du Panthéon – c’est un clin d’œil évident à l’architecture antique. Alors que le dôme du vestibule relève clairement de l'architecture religieuse - comme dans les cathédrales, il y a un tambour couronné d’une coupole. Ces éléments religieux ne devraient pas nous surprendre, cette station est dédiée aux grandes victoires de Leningrad. C'était la tradition en Russie de construire des cathédrales pour commémorer les victoires militaires ou autres grands événements. Cette station est un panthéon symbolique des défenseurs de la ville. Mais les motifs religieux ne s'arrêtent pas là. Ce n'est pas une madone à l'enfant que vous voyez sur cette mosaïque. Ce n'est pas une icone. Cette mosaïque est un panneau métaphorique intitulé «Victoire». Rappelons que la religion en URSS fut proclamée «opium du peuple» et n'était pas officiellement reconnue. Cela n'empêchait pas les artistes de s’inscrire dans la culture mondiale.
Le revêtement des colonnes de la salle n'est pas uniforme, mais c'est un accident: les ouvriers n'ont pas eu le temps de recouvrir toutes les colonnes de verre pour l'inauguration de la station. On a donc recouvert les colonnes restantes de marbre, temporairement. Ensuite, Khrouchtchev a déclaré la «guerre à l'excès» et ce revêtement temporaire est resté. Je dirais d'ailleurs que si les stations de Moscou peuvent prétendre au titre de palais souterrains, ici on peut parler de cathédrales souterraines.
D'ailleurs, on pense souvent que la station Avtovo se trouve à Moscou – j'ai souvent relevé cette erreur chez les blogueurs. Il faut croire que le faste et l'éclat de cette station leur semblent un poil trop «moscovites». Il est temps de dissiper ce malentendu.
Narvskaïa - les prouesses des travailleurs soviétiques sont le thème de cette station.
C'est une station à pilons, elle est tenue par des constructions robustes spéciales qui remplacent les colonnes. La station se trouve à plus de 50 mètres de profondeur, ce qui explique ce type de construction. Les pilons lui donnent un rythme – leur épaisseur et leur revêtement lui confèrent une ambiance paisible et solennelle. Du stalinien tardif typique, en somme.
Les bas-reliefs sur les pilons chantent le travail joyeux – ici, vous trouverez des kolkhoziens, des marins, des ouvriers du bâtiment et des ouvrières du textile, des étudiants, des charpentiers, des agronomes et autres travailleurs. Tous sont idéalisés, vous n'y trouverez pas de visages familiers ni de tentatives de figurer la réalité de la vie soviétique. Au contraire, c'est un énième mythologème qui montre à quoi doivent tendre tous les travailleurs soviétiques. Ces images renvoient, d'une certaine manière, à la station Place de la révolution à Moscou avec les célèbres statues de Matvey Manizer.
Un panneau curieux vous accueille juste avant l’escalateur, il s'intitule «Gloire au travail». Il figure un meeting de travailleurs. Regardez, c'est comique – ils fixent tous le centre avec ardeur et enthousiasme, sauf qu’il n'y a personne au centre. Initialement, Staline occupait cette place, mais son image a été retirée à la déstalinisation menée par Khrouchtchev. Et cette attention des travailleurs concentrée sur le vide donne depuis une impression étrange. Comique, voire sinistre. Cette métaphore, malgré l'auteur du panneau et sa conception originale, en dit beaucoup – on s'extasie devant le vide.
Ainsi, si quelqu'un vous dit que c'est surtout le métro de Moscou qui vaut le détour et qu'il est inutile de perdre votre temps dans le métro de Saint-Pétersbourg, sachez qu’il n'en est rien. Le métro de chacune des deux capitales mérite attention et est unique en son genre.