Kommunalka - appartement communautaire à l'URSS
- 1. Tout d'abord: la Kommunalka en vidéo
- 2. Qu'est-ce qui est un appartement communautaire?
- 3. Pourquois nous visitons un kommunalka à Saint-Pétersbourg?
- 4. Visitons un appartement communautaire réel d'aujourd'hui
- 5. La nouvelle Cœur de chien de Boulgakov
- 6. La psychologie et les habitudes des habitants d'un kommunalka
Tout d'abord: la Kommunalka en vidéo
Pour ceux qui préfèrent la lecture - la transcription de la vidéo est juste en-dessous:
Qu'est-ce qui est un appartement communautaire?
Aujourd'hui, nous parlerons d'une invention unique de la Russie soviétique – l'appartement communautaire, ou kommunalka en russe. C'est un appartement partagé par plusieurs familles. Par exemple, une famille occupe chaque grande pièce de l'appartement et elles partagent la cuisine, la salle de bain et les toilettes. Il ne s'agit pas d'un choix volontaire, il était imposé par l'Etat qui décidait quelle famille occuperait telle ou telle pièce. A l'époque soviétique, la kommounalka était le logement le plus répandu dans le pays. En effet, l'industrialisation et l'exode rural ont créé un déficit de logement criant. Un logement entier était le rêve de l'homo sovieticus, mais cela n'est devenu possible qu'à partir de l'époque Khroutchev.
Il serait fort erroné de penser que les kommunalka sont aujourd’hui reléguées au passé. Jusqu'à ce jour des millions de personnes en Russie occupent ce type de logement, même si elles sont effectivement beaucoup moins nombreuses que par le passé.
Alors, quel est ce monde communautaire et pourquoi est-il si central à la compréhension du pays? C'est ce qu'on va essayer de vous montrer aujourd'hui.
Pourquois nous visitons un kommunalka à Saint-Pétersbourg?
Nous sommes à Saint-Pétersbourg, la capitale culturelle du pays. C'est un beau statut, mais Saint-Pétersbourg est également la capitale des kommounalka – c'est ici que ces appartement sont les plus nombreux. Actuellement, on en compte 80 mille. A Moscou, il y en a beaucoup moins.
Pourquoi les appartements communautaires sont-ils particulièrement intéressants ici, à Saint-Pétersbourg? Parce qu'ici ils se situent dans ce qui était par le passé de très beaux immeubles de rapport, principalement du 19ème siècle. Voire même dans des hôtels particuliers.
Un exemple typique de kommounalka – c'est l'hôtel particulier du comte Roumiantsev, aujourd'hui musée de l'histoire de Saint-Pétersbourg. Dans les années 20, il a été transformé en appartements communautaires. Depuis, il a été restauré pour devenir un musée de kommunalka justement.
Dans un appartement typique, une famille occupe une pièce. Comme les appartements étaient alloués par l'Etat, le brassage des populations était très important – un ouvrier pouvait partager l'appartement avec un musicien de l'orchestre philharmonique et un enseignant, par exemple. Chaque pièce était un monde à part. Mais il y a également des espaces partagés.
Le folklore de l'époque soviétique prend souvent pour cible la vie dans des appartements communautaires – on comprend aisément que la cohabitation n'était pas toujours paisible et pouvait même devenir très conflictuelle.
Mais outre les désagréments ménagers, il y avait des inconvénients psychologiques (je pense, bien plus pesants) – aucune intimité réelle n'était possible. Le respect de l'espace privé de chacun était tout simplement anéanti.
Visitons un appartement communautaire réel d'aujourd'hui
En 1918, le gouvernement de Lénine a mis fin à la propriété privée des logements. Si vous aviez un appartement, il devenait du jour au lendemain propriété de l'Etat. Si vous viviez dans un appartement 8 pièces, il ne vous appartenait plus.
C'est ce qui est arrivé à la famille de mon amie pétersbourgeoise Maria. Son arrière-grand-père possédait un appartement 8 pièces. Il ne s'est retrouvé qu'avec une pièce, dont Maria a hérité et où elle vit aujourd'hui. Maria a gentiment accepté de nous montrer ce qu'est un appartement communautaire d'aujourd’hui dans un immeuble de rapport d’antan typique de Saint-Pétersbourg. Voici l'entrée – la carte de visite de tout bel immeuble.
L'appartement est partagé par 8 familles. Certaines en ont hérité et y vivent. Certains héritiers ont déménagé et louent leur pièce, principalement aux étudiants. Les toilettes sont partagées par les 8 familles. Les gazinières sont également partagées – chacun sa plaque et on ne peut utiliser que la sienne. Les questions de vie quotidienne ne relèvent pas de votre choix. A quelle heure pouvez-vous rentrer à la maison? Si vous rentrez en pleine nuit, il ne faut pas allumer la lumière pour ne pas réveiller les voisins. Encore moins aller grignoter dans la cuisine. Et à quelle heure peut-on commencer à faire du bruit le matin? Combien de temps peut-on rester dans les toilettes? Il arrivait même parfois que chacun ait sa propre lumière dans les wc. Combien de temps peut-on parler au téléphone, sachant qu'il n'y en avait qu'un par appartement? Peut-on inviter des amis? Tout cela n'était pas de votre ressort, ces décisions étaient prises par l'ensemble des locataires.
Trois compteurs d'électricité – chacun avait sa propre facture.
Trois gazinières – chacun cuisine sur la sienne. Dans les toilettes, il y avait plusieurs assises, voire même plusieurs cuvettes.
L’ancêtre de Maria s'en est d'ailleurs bien tiré. Souvent, les propriétaires des appartements faisaient partie des ennemis de classe – la bourgeoisie ou le clergé. Leur sort était bien plus triste – nombre d'entre eux se sont retrouvés dans les camps, voire fusillés.
La nouvelle Cœur de chien de Boulgakov
Les Russes comprennent instinctivement tout ce qui se joue dans la nouvelle de Boulgakov «Cœur de chien», c'est inscrit dans notre ADN historique. Le pouvoir a décidé d'imposer de nouveaux locataires au professeur Preobrajenski, c'est ce que viennent lui annoncer les nouveaux maîtres du pays. Mais le professeur parvient à leur résister grâce à son entregent.
La psychologie et les habitudes des habitants d'un kommunalka
Nos touristes s'intéressent souvent à l'histoire de la Russie: ils visitent les musées, découvrent l'architecture, étudient l'art. Mais je pense qu'on ne peut pas comprendre la Russie soviétique ni la Russie d'aujourd'hui sans avoir saisi le phénomène de kommounalka.
L'homo sovieticus qui a grandi dans un appartement communautaire a un esprit particulier. Il a été initié à une réalité et à des compétences sociales singulières. Et cela, il faut le voir de l'intérieur pour le comprendre. La kommunalka produit une attitude très particulière à l’égard d’autrui, de la propriété, de l'espace privé et des frontières. Ainsi que de soi-même. De nos jours, les anthropologues comme les folkloristes étudient la psychologie des habitants des kommounalka. Mais il faut comprendre que c'est ainsi que se logeait 80% de la population!
Cette expérience a formé des habitudes.
Nous n'incitons pas tout le monde à s'installer dans un appartement communautaire. Mais ceux qui ne s'intéressent pas uniquement au grand art, mais aussi à la mentalité et à la vie quotidienne et à sa culture doivent découvrir les kommounalka. D'autant que vous avez la possibilité de voir cette belle exposition consacrée à la vie communautaire au musée de l'histoire de Saint-Pétersbourg.